lundi 19 janvier 2009

Le magicien de Kaboul


La quête d'un père qui a perdu son fils dans les attentats du World Trade Center et décide d'aider le peuple afghan afin de briser le cycle de la violence

La critique du film Le magicien de Kaboul présenté au Cinéma Ex-Centris à partir du 16 janvier

Charles MATHON

Kaboul en Afghanistan, Haruhiro Shiratori s’ennuie dans le hall d’entrée d’un hôtel. Il se dirige, souriant, vers une femme qui porte le voile. Premier obstacle, les hommes détournent leur regard sérieux vers la scène. Ne parlant que le japonais, Haruhiro fait comprendre à la dame qu’il a besoin de son voile. Toujours en souriant, il le prend de ses deux mains. La femme et les hommes aux alentours s’inquiètent. La femme comprend petit à petit pourquoi ce magicien a besoin de ce bout de tissu pour faire son tour. Dans cet instant magique où la barrière de la langue disparaît, la femme le laisse faire. Le tour de magie fonctionne, elle rit, les hommes et les gardiens de sécurité afghans de l’hôtel peuvent se détendre.

Cette scène, si forte, reflète les barrières franchies par Haruhiro Shiratori, magicien mais avant tout, restaurateur à Tokyo. Son fils unique, Atsushi, vivait à New York et est mort dans les tours du World Trade Center. Après l’indicible, le père a choisi de sublimer sa colère et sa douleur et d’aller directement à la rencontre du peuple afghan. Philippe Baylaucq, réalisateur du documentaire « Le magicien de Kaboul », l’a filmé pendant plusieurs années et nous livre ce chemin à contre courant. Au Japon, en Afghanistan, aux Etats-Unis, le restaurateur devenu magicien tente de faire passer un message à travers la magie. Il explique sa douleur, se livre dans son désir d’expier mais aussi de faire apprendre tout en faisant sourire.

À la mémoire de son fils

De son premier voyage en 2003 jusqu’à 2007, la caméra nous montre les obstacles d’un père qui doit se battre pour son projet. Haruhiro Shiratori souhaite faire construire, sur une colline qui surplombe Kaboul, un parc commémoratif à la mémoire de son fils. En parallèle, le père doit aussi redécouvrir son enfant unique dont les liens avec lui avaient été rompus longtemps avant sa mort. Il part donc à la recherche de souvenirs auprès des amis et de la nouvelle famille. Des scènes terribles, indicibles. Des scènes qui se lient malheureusement, à travers chaque continent, chaque histoire, chaque guerre, en Afghanistan, pays ravagé par les derniers bombardements. Au Japon où Haruhiro Shiratori a vécu dans le Tokyo de la Seconde Guerre Mondiale et est devenu orphelin à huit ans. Aux Etats-Unis, où les images vues et revues ont été habilement remplacées par le son.

Ils ont faim

Cette douleur universelle, elle se voit aussi et surtout dans le regard des enfants afghans. Haruhiro Shiratori se pose pourtant la question : « Pourquoi ces enfants ont-ils de si beaux yeux, un si beau regard ?» Sa réponse n’en est que plus terrifiante « Ils ont soif de découverte parce qu’ils ont faim… »

Pourtant, grâce à un simple tour de magie au coin d’une ruelle, Haruhiro Shiratori parvient à faire vivre un sourire. Philippe Baylaucq, par ses plans serrés, parvient aussi à nous montrer cette joie infime mais qui fleurit pendant un instant au coin de ces visages d’enfants.

Planter des cerisiers au milieu de Kaboul, la symbolique est belle. Mais on se dit au début que les Afghans auraient besoin d’abord de paix et d’éléments vitaux plutôt que d’une colline boisée et d’une école dépourvue de professeurs non payés. Pourtant, en voyant cet homme se battre pour créer des racines sur une colline aride, on se met à croire au rêve de Haruhiro Shiratori. Créer une alliance entre le Japon et l’Afghanistan, deux pays que tout éloigne mais dont les racines des cerisiers pourront fleurir pour un avenir autre que celui de la colère et de la vengeance.

Le magicien de Kaboul, à l’affiche dès le 16 janvier 2009 au cinéma Parallèle ( Ex-Centris) à Montréal.

Mis en ligne sur le site Soundbeatradio.com le 16 janvier 2009

Infirmière au combat


Un rapport du minière de la Défense, paru en décembre 2008, révèle que depuis le début des opérations en Afghanistan, 360 soldats canadiens ont été blessés et 106 ont perdu la vie.
(Photo : Caporal Jasper Schwartz, Army News Exercice Mapple Guardian 0802, ministère de la Défense nationale)

Charles MATHON

Infirmière et soldate, mère de famille, étudiante à l’École nationale d’administration publique, Amélie Proulx ne chôme pas. Pour la troisième fois depuis 2004, elle quitte le Québec pour aller prêter main forte à l’armée canadienne en Afghanistan. Cette fois-ci, elle y restera deux mois afin de travailler à l’hôpital militaire de Kandahar. Quartier Libre l’a rencontrée avant son départ.


Amélie Proulx est infirmière dans l’armée canadienne depuis 10 ans. Si elle ne correspond pas à l’image froide et dure que l’on se fait d’une soldate, sa force transparaît néanmoins dans ses paroles. « Ce que je retiens de mes expériences ? C’est que ça fait apprécier les choses de la vie. Certaines personnes se plaignent le ventre plein », dit-elle. Capitaine dans l’armée et mère d’une petite fille, Amélie Proulx n’a pas peur d’exercer son métier en Afghanistan : « Être infirmière dans de telles conditions, c’est un peu ce qu’espère chacune dans ce métier, on va au bout de nos capacités », raconte-t-elle.


Un rapport du minière de la Défense, paru en décembre 2008, révèle que depuis le début des opérations en Afghanistan, 360 soldats canadiens ont été blessés et 106 ont perdu la vie.
(Photo : Jasper Schwartz, Army News Opération Mapple Guardian 0802, ministère de la Défense nationale)

Une autre réalité

Comme tout soldat, Amélie Proulx a dû passer un test physique avant de pouvoir partir : une marche de 13 kilomètres avec 20 kilogrammes sur le dos. Mais son travail sera surtout de sauver des vies : « C’est complètement différent des soins intensifs en Occident. Une infirmière doit être flexible, on doit pouvoir s’adapter au contexte multinational. Ce qui est important c’est que le patient survive », explique-t-elle. Le corps médical, constitué de plusieurs nationalités, s’occupe des militaires blessés. « On n’a pas de parti pris, mais lorsqu’on voit arriver un soldat de notre pays, ça fait toujours quelque chose », avoue Amélie Proulx.

La jeune soldate se souvient de sa journée la plus dure : « Pendant 22 heures de travail en continu, je pense que je n’ai pu prendre qu’une seule minute de repos tellement il y avait de patients à soigner. Je me souviens aussi avoir attendu cinq heures pour aller aux toilettes. » Ses journées habituelles ne sont pas pour autant plus tranquilles. Avec un horaire de travail plutôt irrégulier, mais qui s’étend habituellement de 8 h du matin à minuit, Amélie Proulx voit arriver toutes sortes de patients. « On doit faire de la traumatologie, soigner des blessures par balles et des mutilations causées par des mines et des explosifs. Il peut arriver 15 patients d’un seul coup », dit-elle.

Le support de son entourage

En route pour une troisième mission, Mme Proulx se doute de ce qui l’attend à l’hôpital de Kandahar. La première fois qu’elle a quitté le Québec pour l’Afghanistan en 2004, elle ne craignait pas de partir : « Je voulais voir ce que c’était », dit-elle. Elle avoue toutefois ne pas être souvent sortie du camp militaire où elle travaillait. « Je suis sortie seulement une fois, c’était lors de ma première expérience à Kaboul. Et c’est vrai qu’on est regardée différemment par les hommes. Il y a une grosse différence en ce qui concerne le traitement des femmes », affirme-t-elle.

Heureusement, dans les moments difficiles, elle peut conter sur le soutient de sa famille : « Mon mari me comprend, bien sûr, car il est militaire. Pour ma petite fille de huit ans, cela fait partie de sa vie. Je trouve ça très bien qu’elle comprenne que tous les enfants de son âge n’ont pas la même vie qu’elle. »

Grâce à un plan de garde de l’armée canadienne, le père ou la mère peut être présent lorsque l’autre est à l’étranger. « Nous avons aussi beaucoup d’aide de notre famille. Tout est bien structuré », ajoute Amélie Proulx.

Lorsqu’elle reste à Montréal, l’infirmière enseigne en traumatologie au Centre universitaire de santé McGill et forme le corps médical qui doit partir pour de nouvelles missions. Mais elle ne s’arrête pas là. Amélie Proulx prépare aussi une maîtrise en administration publique à l’ÉNAP.

De longs mois

Pour la jeune femme, les épreuves physiques et mentales qu’elle s’apprête à affronter au cours des prochains mois font « partie de son travail ». Une fois l’avion décollé, plus question de revenir en arrière : l’armée ne donne tout simplement pas l’option de rentrer au pays. Les rapatriements se produisent uniquement dans le cas de blessures graves. Après plus d’une centaine de morts au combat et un mari militaire grièvement blessé l’année dernière, Mme Proulx préfère ne pas penser au pire. « C’est plus difficile quand on est pas là. Sur place, on le vit », dit-elle. Le retour d’Amélie Proulx est prévu pour mars 2009.

Article paru dans le Quartier Libre, n°9; 14 janvier 2009